Délibération 2022-026 : Intervention de Thierry Millet, représentant l'opposition municipale
Monsieur le Maire, chers collègues,
Cette délibération nous appelle notamment à nous prononcer sur le changement de nom de la « passe communale de Bellevue ».
Cette voie est proche de la lisière SUD du site du circuit auto-moto et à un jet de pierre du désormais célèbre terrain du 172 avenue Marcel Dassault qui appartient à un ancien membre de votre majorité élu de 1995 à 2020.
Vous nous proposez de changer le nom de la « passe communale de Bellevue » et de la dénommer « impasse de Bellevue »
Voici donc une actualité de plus dans ce secteur excentré de Mérignac qui, décidément, depuis quelques temps, occupe souvent le devant de la scène !
Rappelons quelques épisodes.
Il a d’abord eu le vote du Plan Local d'Urbanisme (PLU) en décembre 2016, lequel a favorisé le propriétaire du terrain du 172 avenue Marcel Dassault, puisqu’il a bénéficié d’une constructibilité accrue, contrairement aux propriétaires des terrains voisins qui, eux, ont subi une suppression de la totalité de leurs droits à construire.
Elu gâté d’un côté, citoyen lambda maltraité de l’autre : il y a eu « deux poids, deux mesures ». Seul un raccordement aux réseaux, et en particulier au réseau d’assainissement, aurait pu éventuellement expliquer les modifications de PLU que vous avez initiées, votées et fait voter. Or, jusqu’à ce jour, ce n’est pas le cas. Mais nous y reviendrons.
Le 2 mars dernier, vous avez annoncé l’installation de l’Aire de Grand Passage (AGP) des gens du voyage sur le terrain du circuit auto-moto.
Le 22 mars, vous avez fait expulser la société GTRS qui exploitait, animait et entretenait la piste du circuit auto-moto.
On attend désormais la suite : l’annonce des travaux à entreprendre sur le site du circuit, à savoir sa dépollution et son aménagement avec, bien évidemment, l’extension des réseaux, notamment le réseau d’assainissement en direction de l’angle NORD-OUEST du circuit, c’est-à-dire à l’orée du terrain du 172 avenue Marcel Dassault.
Au regard de cette délibération, une 1ère question se pose : une fois que le réseau de tout à l’égout aura été prolongé, aux frais de Bordeaux Métropole, c’est-à-dire avec nos impôts, jusqu’aux portes du terrain de votre ancien adjoint, allez-vous aussi le prolonger jusqu’à la place Dauphine, classée au PLU « Ng », c’est-à-dire en zone naturelle ? Dans cette zone, il y a des dizaines de maisons édifiées sans permis de construire puisque le PLU, y compris dans sa version votée en 2016, n'y permet aucune construction ?
Une 2ème question vient à l’esprit : puisque vous nous avez prouvé, en expulsant brutalement GTRS, que vous étiez dans une séquence d’application inflexible de ce que vous considérez être LE bon droit, on peut s’inquiéter : irez-vous jusqu’à faire détruire les maisons que vous avez laissé illégalement construire ?
3ème question : Dans cette même logique judiciaire que vous appliquez à GTRS, pouvez-vous nous dire si vous aviez entamé des démarches pour faire respecter le PLU autour de la place Dauphine au moment où il était encore possible de le faire ? Des démarches sont-elles en cours actuellement ? Pour que les choses soient claires pour tous, je rappelle que vous étiez déjà responsable de ce dossier durant le mandat 2001-2008, puisqu’à cette époque vous étiez adjoint à la politique de la ville.
Monsieur le maire, sous votre autorité, la rupture d’égalité dans le traitement des citoyens est criante :
D’un côté, il y a un entrepreneur et son équipe qui occupent un circuit contre versement à la commune de sommes d’argent qui n’ont pas pu administrativement être affectées et comptabilisées en loyers du fait d’un bail jugé non valable mais qui ont investi, beaucoup investi, travaillé, beaucoup travaillé, pour sortir le circuit de l’état où ils l’avaient trouvé.
De l’autre, des personnes qui, depuis des années, ne tiennent aucun compte des règlements d’urbanisme, et construisent progressivement un village en pleine zone naturelle.
Probablement ces derniers ont-ils fait valoir des arguments suffisamment convaincants pour que vous n’ayez pas bougé le petit doigt jusqu’à ce jour…
Le droit, rien que le droit et les huissiers pour les uns.
La Loi du fait accompli, dument acceptée par votre municipalité, pour les autres.
Ce « deux poids, deux mesures » est choquant.
Soit on est tolérant pour tous, soit on fait appliquer la Loi à tous.
C’est cela la République !
Vu l’actualité et le contexte du secteur de l’avenue de Bellevue, la dénomination de cette impasse aurait pu faire l’objet d’autres propositions que celle qui figure dans cette délibération.
Sachant qu’une impasse est, par nature, une voie sans issue, vous auriez pu nous proposer, par exemple, la dénomination « Impasse du PLU à la carte » puisque nul ne peut comprendre qu’une commune ferme les yeux quand les règlements d’urbanisme ne sont pas respectés ou quand un propriétaire est avantagé par le PLU alors que ses voisins sont, eux, désavantagés.
Vous auriez aussi pu nous proposer « Impasse des petits arrangements » puisque, si vous regardez la topographie de ce secteur « circuit auto-moto / terrain de votre ex-adjoint / village construit en zone naturelle », vous avez là un véritable « triangle des Bermudes mérignacais » où l’intérêt général et l’équité disparaissent inexorablement, des arrangements discrets pouvant seuls expliquer ce phénomène.
Si nous faisons ces suggestions de dénomination, ce n’est pas seulement pour illustrer ce que nous critiquons. C’est d’abord parce que l’actualité dans ce secteur nous y pousse.
En effet, je vous ai interpelé ici-même le 7 février dernier sur un autre « deux poids, deux mesures » entre deux sociétés occupant le circuit, l’une dont le bail est prolongé alors que l’autre est expulsée. Voici ce que je vous avais dit :
« Comment expliquer votre attitude contradictoire illustrée par la différence de traitement réservé à Kart System, d’une part, et à GTRS d’autre part ? Une collectivité comme la nôtre a certainement réfléchi à son avenir en général, et au devenir du circuit en particulier.
Que prévoyez-vous à la place de l’espace actuellement utilisé par GTRS et pourquoi un tel empressement à éjecter cette société séance tenante alors qu’après plus de 30 ans de « n’importe quoi », qui peut croire que la municipalité soit à quelques mois près pour mettre en ordre l’occupation du circuit ?
Que nous cachez-vous ?
Votre subite hâte à faire place nette est difficilement compréhensible si l’on considère l’ancienneté et la multitude des anomalies de ce dossier.
Nous nous interrogeons : les récents développements autour du circuit auraient-ils un rapport avec le dossier voisin du terrain du 172 avenue Marcel Dassault ?
Accélérer l’éviction de l’occupant de la partie NORD-OUEST du site du « circuit » pourrait, sait-on jamais, vous permettre de trouver un prétexte, qu’il soit métropolitain ou municipal, pour y lancer, par exemple, des travaux d’assainissement et de réseaux.
Le cas échéant, une fois ces travaux réalisés à la vitesse grand V, cela vous permettrait de justifier après coup le changement de PLU autorisant la construction sur cette fameuse parcelle de 5 hectares du 172 avenue Marcel Dassault, laquelle, contrairement à ce que vous prétendez en guise de justification, n’a jamais été mitoyenne du circuit puisqu’elle en est séparée par l’avenue de Bellevue.
Imaginons quels pourraient être les effets de tels travaux : une fois les réseaux réalisés, il serait plus facile de figer la situation cadastrale du terrain de votre ancien adjoint, évitant ainsi tout risque de retour à son classement antérieur, notamment en cas de changement de municipalité en 2026…
Je devine que vous allez crier au procès d’intention et, peut-être aussi, dénoncer l’attitude de l’opposition…
Au lieu des effets de manches que vous affectionnez, nous vous demandons de répondre à nos questions avec précision et transparence. »
Ce sont mes mots du 7 février 2022, Monsieur le maire.
Quelle avait été votre réponse ? Voici ce que dit le procès-verbal :
« [Monsieur le maire] suppose que la nuit, M. MILLET écrit des romans, mais il ne faut pas que le jour, il soit ensuite hanté par ses histoires. »
Vous aviez même ajouté :
« Il n’y a rien de plus simple que ce dossier et tout s’explique […]. Pour tout le reste, […] c’est de l’affabulation totale. La Ville ne fait qu’exécuter un jugement qui est là et que je vous remettrai. »
Monsieur le maire, vous ayez visé juste : à mon corps défendant, j’écris bien des romans. Mais reconnaissez que ce sont des romans d’anticipation ! Et d’anticipation à court terme puisqu’il aura fallu moins d’un mois pour que le prétexte métropolitain qui vous permet de justifier de l’extension du tout-à-l’égout jusqu’au terrain de votre adjoint soit dévoilé…
Par ailleurs, il semble que le prix des décisions que vous prenez ne soit pas votre priorité puisque :
1) vous avez décidé d’installer l’AGP sur un terrain classé au PLU en « Zone pour industrie lourde » où le m² coûte des centaines d’euros
2) l’AGP étant de compétence métropolitaine, les réseaux (assainissement, etc.) y seront réalisés par la Métropole pour que les gens du voyage puissent utiliser des installations sanitaires aux normes
Avec les élus de l’opposition, lors du dernier conseil municipal, nous avions vu juste !
Mais les conséquences de votre pilotage à courte vue ne s’arrêtent pas là car, conséquence des tensions internationales croissantes depuis de longs mois et de la guerre en Ukraine, l’Europe et la France doivent désormais se réarmer. Les industries aéronautiques de Défense sont donc appelées à s’étendre sur les terrains contigus à l’aéroport. Il suffit de regarder le cadastre pour que l’évidence saute aux yeux : le devenir industriel du site du circuit est inéluctable car l’accès direct aux pistes est, pour les industriels, une condition essentielle. Ce qui, d’ailleurs, explique le classement de ce site en « Zone pour industrie lourde ».
A terme, les caravanes devront donc être déplacées ailleurs pour laisser la place aux usines et aux centres d’essais…
Qui profitera in fine de vos décisions sur le PLU et l’AGP ?
Votre ex-adjoint car son terrain est le seul de ce secteur à obtenir l’avantage d’une constructibilité alors que, dans le même temps, les parcelles voisines ont perdu la leur !
En prime, il bénéficiera de la proximité des réseaux !!
Ainsi, sur les 50.000 m² de surface de son terrain, cela fait des millions d’euros de plus-value en perspective…
… A moins que pour rendre l’opération moins voyante, le propriétaire n’ait l’idée de différer l’encaissement d’une partie de son bénéfice en vendant ce terrain à un tiers, par exemple à un promoteur ou à un lotisseur, afin d’essayer de faire oublier ce qui ressemble de plus en plus à une prise illégale d’intérêt.
Mais ce n’est pas tout.
Le 7 février dernier, vous avez caché à la représentation municipale des informations, qu’immanquablement, vous déteniez.
Vous n’avez pas hésité à brocarder votre opposition alors que les propos que je viens de vous relire à l’instant montrent combien notre perspicacité dans l’analyse exposée lors du dernier conseil municipal était pertinente.
Votre façon de faire a consisté à nier les évidences, à faire votre propagande coûte que coûte, sans vergogne, en usant de dissimulation. On peut se demander si cela ne traduit pas, « au fond » (expression que vous affectionnez), un mépris de la population et de ses élus, particulièrement ceux de l’opposition.
Au-delà de la fourberie, je voudrais aussi dire un mot sur votre brutalité.
Alors que GTRS avait a minima besoin de poursuivre ses activités jusqu’à l’été pour exécuter les contrats en cours jusqu’à leur terme, vous avez laissé pratiquer une expulsion dont le caractère empressé laisse planer un doute sur votre bienveillance, celle dont un maire ne devrait jamais se départir.
Notez que j’aurais dit exactement la même chose si vous aviez osé toucher aux maisons des familles qui habitent désormais autour de la place Dauphine : il serait inhumain de leur faire subir aujourd’hui les conséquences du laxisme dont vous-même et votre municipalité vous êtes rendus coupables depuis des années en ne faisant pas appliquer les règles d’urbanisme en zone naturelle.
Un comble dans une commune où les écologistes sont membres de la majorité municipale depuis plusieurs mandats.
Oui, Monsieur le maire, quand on occupe vos fonctions, l’humanité doit prévaloir et guider l’action. On se doit de pas ajouter du tracas à la peine d’autrui. Autrement dit, quand on a du pouvoir, on se doit d’être magnanime.
Cette expulsion donne le sentiment d’un acharnement sur une entreprise en situation difficile, et plus largement, sur la communauté des amateurs de sports mécaniques.
Concluant mon intervention du 7 février dernier, je vous avais dit que notre confiance avait depuis longtemps été émoussée par les dérapages successifs et ininterrompus du dossier du « circuit ».
Les derniers soubresauts de ce dossier ne sont pas de nature à rétablir cette confiance.
Quant à la dénomination que vous allez immanquablement voter, c’est-à-dire « impasse Bellevue » on peut dire que pour une voie depuis laquelle on peut apercevoir tous les lieux concernés par les anomalies que je viens de dénoncer, on a en effet une « belle vue » sur votre façon douteuse d’administrer la Ville.
Symboliquement, nous nous abstiendrons sur cette délibération.